TRAVAIL SOCIAL ET QUALITE DE VIE: QUELLE APPLICABILITE POUR LES CAS SOCIAUX?

Publié le par Thieni Hama

                                                Analyse Partie 1

La présente réflexion sur la qualité de vie ou le bien-être cherche à positionner le travail social par rapport à une notion qui a un avenir prometteur dans nos sociétés, en ce sens que la recherche de remède face au mal-être de la société dite "moderne" se transforme en une quête quotidienne et permanente d'un bien-être qui ne dit pas son nom et propulsé en cela par les pouvoirs publics. Travailler pour le bien-être des catégories sociales dites "vulnérables" est l'une des fonctions attribuées au travail social par les politiques publiques.

Il s'agit pour nous  dans la présente réflexion d'aborder le concept de la qualité de vie dans toutes ces facettes(économique, psychologique et sociologique), avant évidemment de dégager le positionnement que doit avoir le travailleur social vis à vis de ce concept, ainsi que de son applicabilité aux publics cible (Enfants, Femmes, Personnes âgées, Personnes en situation de handicap, Cas sociaux...) de l'Action Sociale en nous servant du cas du Burkina Faso en dernier ressort comme référence.

  Un concept à la croisée des disciplines scientifiques

La qualité de vie est une notion multidimensionnelle et très prisée dans le monde anglo-saxon, la plus part des publications pionnières en lien avec ce concept se trouve être l’apanage de ce monde, surtout quand la dimension subjective de ce concept est mise en exergue. Presque toutes les disciplines s’y intéressent de la psychologie à la médecine en passant par l’économie jusqu’à la sociologie. Parlant du relatif consensus qui règne dans le milieu scientifique sur ce concept, il ressort que malgré le caractère disparate en ce qui concerne l’utilisation du concept de qualité de vie, il convient tout de même de souligner l’existence d’un consensus au sein des chercheurs qui publient dans les différentes revues spécialisées en lien avec la qualité de vie. Le concept de qualité de vie est alors circonscrit, il est source de théorisation par ces chercheurs afin d’en faire un outil de mesure et de comparaison (ELSA BEAULIEU, 2004). C’est pourquoi de façon consensuelle les chercheurs qui abordent la qualité de vie s’entendent à  ce que le concept inclut à la fois des dimensions matérielles objectives et des dimensions immatérielles subjectives. Même si d’ailleurs cette combinaison, il faut le souligner pose le problème de la suprématie d’une dimension sur l’autre. Nous nous pencherons sur les deux principales conceptions de la qualité de vie, ainsi qu’un bref aperçu du concept en sociologie.

  • Economie et qualité de vie 

Dans les années soixante (60) est apparue la recherche sur le bien-être. Celle-ci évalue les conditions de vie de la société sur la base de paramètres quantifiables. C’est la croissance économique alors qui servait à mesurer le degré de bien-être du moins dans les pays industrialisés occidentaux. C’est pourquoi la qualité de vie en tant que processus impulsé par un système a très souvent été  abordée plutôt par les psychologues et les économistes que les sociologues. Il est alors mis en exergue l’importance des conditions matérielles notamment la richesse comme déterminants du bien-être. (ELINA MARIE DEVOUE, 2009). Pour mesurer la richesse et le bien-être des nations les économistes ont créé des indicateurs. Pour certains économistes ces instruments devaient servir uniquement à appréhender la richesse en lien avec la production national des nations à travers des calculs savamment orchestrés. D'après certains auteurs, il n’était pas question de cerner le bien-être. Alors que, pour d’autres ces mesures et statistiques en lien avec la richesse devaient rendre aussi compte de la qualité de vie des populations. D’ailleurs comme les chiffres ne sont pas toujours en adéquation avec la réalité, qui se trouve être très souvent complexe, le concept de la qualité de vie va subir des retouches régulières se sont imposées (ELINA MARIE DEVOUE, 2009).

C’est pourquoi, les auteurs soulignent que les différentes théories économiques ont été mobilisées dans ce processus de quantification de la qualité de vie en fonction des échelles d’analyse. Il ressort que pour la branche Microéconomique, la théorie des choix du consommateur qui postule que la satisfaction du consommateur est une fonction croissante des quantités consommées devait être pris en compte dans ce processus de quantification du bien-être (JACQUEMIN ET TULKENS, 2001). Il ressort, toujours selon les auteurs que pour l’autre branche de l’économie qu’est la Macroéconomie, on va admettre que la consommation tant privée que publique détermine les niveaux de satisfaction ou de bien-être dont peut jouir la population du pays et que l’objectif de la croissance économique concerne le bien-être futur des nations. 

Les économistes vont alors  en  se basant sur ces deux branches de l'économie élaborer des instruments en vue de mesurer le niveau de richesse des nations. Mais, malgré leur mises en garde, des points de vue dominants parmi eux ont imposé le postulat selon lequel: «...le bien-être croît avec le revenu réel, tant pour les individus que pour les nations » (VINCENT BODART ET AL, 2006: p1), en d’autres termes plus un pays est riche plus la qualité de vie de sa population est aussi supérieure à celle des pays qui sont moins nantis en richesse.

Il est question tout simplement de la mise en exergue du niveau de croissance économique du pays, qui peut être appréhendé comme un processus quantitatif qui se traduit par l’augmentation au cours d’une longue période, d’un indicateur représentatif de la production de  la richesse d’un pays, le plus souvent le produit intérieur brut. (ELINA MARIE DEVOUE, 2009). Il est alors intéressant pour nous d'analyser les deux principaux instruments que sont: le Produit Intérieur Brut (PIB) et l’Indice de Développement Humain (IDH) pour mieux appréhender la situation.

 

  • Le Produit Intérieur Brut

Le produit intérieur brut est un indicateur économique utilisé pour mesurer l'activité de production d'un pays donné. Il n’aurait pas été élaboré pour appréhender le bien-être mais plutôt la production des pays. Il existe différentes manières de le calculer. On retiendra de façon générale qu’elle est appréhendée comme la valeur totale de la production de richesses (valeur des biens et services crées valeur des biens et services détruits ou transformés durant le processus de production) dans un pays donné au cours d’une année donnée par les agents économiques résidant à l’intérieur du territoire national (ELINA MARIE DEVOUE, 2009). Par ailleurs, pour certains auteurs, le produit intérieur brut est plus englobant car pour eux le développement suppose non seulement la croissance économique sur un long terme, mais également et surtout une harmonisation, une transformation qualitative des structures sociales et économiques de la société. C'est pourquoi, le produit intérieur brut (PIB) peut par conséquent être défini dans un sens plus large comme une transformation quantitative et qualitative des conditions d’existence de la population d’un milieu donné.(VINCENT BODART ET AL, 2006).

En définitive, on retiendra que la croissance économique saisissable à travers le PIB correspond à l’augmentation, au cours d’une période donnée, d’un indicateur synthétique de production alors que le développement qui est en lien avec la qualité de vie correspond à un processus de transformation des techniques et des structures économiques, politiques et sociales, qui engendre le recul de la pauvreté, l’augmentation du niveau de vie en d’autres termes de la qualité de vie.

Toutefois, il est intéressant de souligner l'apport du paradoxe dit de "Easterlin" dans la remise en cause du concept de bien-être par les économistes. Le fameux paradoxe de RICHARD EASTERLIN a eu le mérite dans les années 1974, d’avoir soulevé beaucoup de débats sur la croissance économique que le produit intérieur brut devait mesurer. Dans les milieux économiques les débats persiste jusqu'à nos jours sur le paradoxe dit de EASTERLIN, parce que pour cet auteur l’influence du revenu sur la satisfaction est beaucoup plus faible au niveau de la société surtout quand on se retrouve dans une perspective longitudinale en comparaison avec le niveau individuel au sein d’une société. Il faut conclure que le bénéfice de la croissance économique était perdu dans la mesure où la satisfaction à l’égard de sa vie était essentiellement relative à la situation de ses concitoyens.

Aussi, il faut noter que certains auteurs vont renforcer ce paradoxe dit de "Easterlin" en stipulant que les attentes des individus augmentaient parallèlement à la hausse des revenus créant ainsi un effet d’adaptation (MICHEL FORSE et SIMON LANGLOIS, 2014). En termes de conséquence face aux insuffisances du PIB à rendre compte de la qualité de vie des populations, un passage va être opéré dans la discipline économique en vue de mettre en exergue un autre instrument de mesure qui lui mesurerait plus efficacement le bien-être ou la qualité de vie. C’est dans cette perspective, que les travaux d’AMARTYA SEN, vont constitués le socle sur lequel va s’opérer le changement de paradigme concernant la qualité de vie en économie. MICHEL FORSE et SIMON LANGLOIS (2014), font ressortir le fait que pour mesurer le bien-être il y’a nécessité chez  Amartya SEN de prendre en compte certains éléments liés à la subjectivité dont il qualifiera de « capabilités ». C’est pourquoi il propose de remplacer le PIB par l’IDH. 

  • L’Indice de Développement Humain(IDH)

Les débats sur la non efficacité du PIB dans la capture de la qualité de vie étaient réels, d’autant plus que le développement et le bien-être étaient assimilés à la croissance économique (GERARD CORNILLAU, 2006). Il fallait face à cette situation proposer un instrument qui placerait l’être humain au centre, chose qui a fait défaut avec le PIB. Parmi les interrogations les plus récurrentes, figurait une question qui malgré le fait qu’elle reconnaisse l’apport du PIB dans le bien-être des populations s’interroge sur les insuffisances de cet instrument: « Peut-on néanmoins se contenter de résumer le bien être sociétal au seul PIB ?» 

C’est pourquoi, pour mesurer le développement des nations en tenant compte des insuffisances du PIB, le PNUD va officialiser en 1990 un indicateur synthétique dénommé l’Indice de Développement Humain(IDH). Considérant, ainsi que le développement traduit l’extension des possibilités humaines, celle-ci nécessite trois conditions: la possibilité de vivre longtemps et en bonne santé, la possibilité de s’instruire, et enfin les possibilités d’accès aux ressources permettant de vivre convenablement. Pour rendre compte de ces trois dimensions du développement, l’IDH synthétise trois indicateurs mesurés de 0 à 1 (plus il est élevé, plus le pays est développé donc la qualité de vie des citoyens est la meilleure) (ELINA MARIE DEVOUE, 2009).

  • Un indicateur de longévité et de santé mesuré par l’espérance de vie à la naissance
  • Un indicateur d’instruction mesuré pour deux tiers par le taux d’alphabétisation des adultes et pour un tiers par le taux de scolarisation
  • Un indicateur de niveau de vie mesuré par PNB/habitant

Tout comme l’autre instrument, c'est-à-dire le PIB, il ressort que pour certains économistes l’IDH rencontre des limites puisqu’il ne montre pas si le niveau de développement atteint est dû à une aide extérieure ou bien aux progrès réels du pays qui traduisent alors l’effectivité d’un processus durable de développement. De plus, on peut lui reprocher son caractère statique alors que ce qu’il est censé mesurer, le développement ainsi que la qualité de vie, sont des phénomènes dynamiques. Il faut d’ailleurs, souligner que AMARTYA SEN [1] qui est l’un des concepteurs de cet indice composite en etait conscient, puisqu’il fait ressortir les limites de l’IDH en rapport avec le bien-être des individus et propose même une alternative avec une prise en compte plus accrue du bien-être subjectif avec notamment l’évaluation que les individus se font eux-mêmes de leur propre qualité de vie.

C’est conscient de toutes les imperfections liées à ces deux instruments, que certaines structures internationales liées au monde du développement ont grâce aux plaidoyers dans les instances de l’ONU ont réussit à faire adopter de nouvelles méthodes en matière d’évaluation du bien-être en intégrant la dimension subjective dans les instruments de mesures, il s’agit de l’Organisation de la Coopération  et du Développement Economique(OCDE), pour qui la question du bien-être ne saurait omettre la dimension subjective longtemps reléguée au second plan....A SUIVRE 

THIENI HAMA


[1] L’IDH  a été mis au point par les économistes Amartya Sen et Mahbub Ul Haq, En 1990 le Programme des Nations Unies  pour le Développement (PNUD) va l’officialiser.

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