TRAVAIL SOCIAL ET QUALITE DE VIE: QUELLE APPLICABILITE POUR LES CAS SOCIAUX (PARTIE 2)

Publié le par Thieni Hama

  • LA PSYCHOLOGIE ET LA QUALITE DE VIE

L’évaluation de la qualité de vie est une question qui a été beaucoup analysé dans les recherches médicales et psychologiques contrairement aux sciences économiques. Il ressort que les recherches dans ces disciplines (médecine et psychologie) ne se sont pas penchées uniquement sur les composantes physiques de l’être humain, ils ont pris aussi en compte des aspects émotionnels, les aspects mentaux, sociaux, spirituels et comportementaux. Le trait saillant de ces recherches c’est l’adéquation qui existe entre elle et la définition de la santé telle que stipulée par l’OMS dans le préambule de sa constitution de 1946. En effet l’objectif de la pratique médicale, n’est pas seulement de travailler à améliorer le bien-être physique à travers les soins, le prolongement de la vie mais c’est aussi tenir compte de la perception subjective de l’état de santé de l’individu, sur sa capacité à gérer le quotidien et les changements liés à son contexte environnemental. Pour certains auteurs, la subjectivité du bien-être relève du jugement réflexif que l’individu porte sur sa vie, c’est tout un processus cognitif qui implique l’auto évaluation par le sujet en lien avec ses aspirations, ses attentes, ses expériences et de sa propre perception de ce qu’il a réalisé.

Le bien-être est alors la résultante des représentations de l’individu et ses expériences (Remy Pawin, 2014). Contrairement à cette approche, d’autres auteurs ne l’appréhendent pas de la sorte, puisque pour eux les éléments subjectifs relèvent avant tout de l’ordre du social et devraient conduire les chercheurs à mettre l’accent sur la socialisation et la capacité de l’individu à s’intégrer dans la communauté plutôt que de mettre l’accent sur le sujet (Elsa Beaulieu, 2004). En résumé la subjectivité elle-même ne fait pas le consensus dans le domaine de la recherche sur la qualité de vie. En tout état de cause, il faut retenir que les recherches cliniques en matière de qualité de vie sont vastes et tous les tests cliniques qui sont proposés mettent en avant la dimension subjective avec des instruments de mesure et d’évaluation de la qualité de vie, avec des efforts de concilier la dimension subjective et celle objective. (Elsa Beaulieu, 2004). 

Selon Peggy Schins (2001), les principales théories explicatives de la qualité de vie, qui sous-tendent la plupart des recherches basées sur les dimensions subjectives notamment celles cliniques sont connues. D’abord il est question de la théorie des besoins (Needs Theory), cette théorie tire ses racines des travaux de Abraham Maslow notamment de son ouvrage intitulé «A theory of Human Motivation» qu’il publie en 1943, il est question dans cet ouvrage des besoins et des motivations humaines qui peuvent faire l’objet de classification. La théorie des besoins repose sur une hiérarchie des besoins alliant ceux physiologiques à ceux relatifs à la réalisation de soi en passant par les besoins sociaux. C’est pourquoi il est question de cinq types de besoins que sont : la réalisation de soi, l’estime, l’appartenance, la sécurité et les besoins organiques. (un zoom sera fait sur la théorie de A Maslow, prochain billet)

Il faut souligner que pour cette théorie les conditions économiques et culturelles sont hiérarchisés mais ont toutes un impact sur le bien-être des individus, il est mis en exergue la relation entre la prospérité économique, les facteurs culturels et le bien-être. Mais avant Maslow des chercheurs comme Kurt Lewin dans l’entre deux-guerres, avaient déjà formulé une théorie semblable il s’agit de la théorie dite du «niveau d‘aspiration», actuellement désignée par la métaphore du « tapis roulant des besoins ». Cette théorie très proche de celle des besoins stipule que les aspirations s’élèvent à mesure que les réalisations progressent un désir vient remplacer le besoin satisfait, le nouvel objectif (le «niveau d’aspiration») est fixé à partir des performances antérieures Kurt Lewin (1959).[1] Cependant, la théorie des besoins malgré son succès est falsifiée invariablement par les études empiriques qui ont démontrées  que le fait de stipuler que la succession des besoins de l’individu est linéaire et que pour ressentir un besoin d’un étage supérieure, il faut selon MASLOW avoir comblé ceux de l’étage supérieure n’est pas vérifié, puisqu’il ressort que malgré le fait que les besoins humains soient présents dans tous les cinq classes, il n’y aurait pas de passage obligé pour la satisfaction d’un type de besoins pour pouvoir en éprouver un autre (Remy Pawin, 2014). Les insuffisances de la théorie des besoins sont aussi liées à sa volonté d’uniformisation des besoins humains, partant de la qualité de vie (Elsa Beaulieu, 2004).

Ensuite nous avons, la théorie de la comparaison (Comparison Theory), évoquant cette théorie qui est encore appelée Discrepancy Theory, Diener et Lucas montre sa particularité et sa différence d’avec celle de A. Maslow en ces termes: « ...Contrairement à l’approche par les besoins, les théoriciens des standards relatifs font valoir que les conditions objectives affectent le bien-être subjectif seulement indirectement, à travers la comparaison à d’autres conditions. Selon ce point de vue, tout jugement est implicitement comparatif et les conditions de vie objectives n’ont absolument aucune signification » (2000 :47). Il faut retenir que pour la théorie de la comparaison le bonheur des humains est fonction de la comparaison des standards de la qualité de vie et de la représentation qu’ils se font des circonstances de la vie, toute chose qui implique le fait que ces standards soient liés à divers éléments macrosociaux tandis que les circonstances de vie dépendent principalement des critères économiques. (Peggy Schyns,1998) 

De façon résumé pour Peggy Schyns,  cette théorie met en exergue une certaine relativité de la notion de la qualité de vie puisque l’influence des éléments objectifs, malgré leur caractère fondamental ne garantissent pas le bonheur, d’où ses propos selon lesquels : «En somme la théorie de la comparaison stipule que le bonheur est relatif. Un changement dans les conditions objectives de vie ne se traduira pas nécessairement par un changement dans le niveau de bonheur, soit parce qu’a un moment donné le bonheur du riche surpassera le bonheur du pauvre» (1998:57). Les débats à ce niveau sont également loin de s’estomper puisque le poids des conditions objectives constitue pour les économistes l’un des facteurs incontournable du bien-être.

Enfin, nous avons la théorie de l’évaluation (Evaluation Theory), cette théorie est à l’actif de DIENER et LUCAS, elle cherche à appréhender le processus de construction des jugements sur le bien-être, ils explicitent d’ailleurs leur posture en ces termes : «Le bien-être subjectif renvoie à une sommation de réactions évaluatives qui se produisent quand un individu rencontre des stimuli (...) La théorie de l’évaluation cherche à comprendre le processus à travers lequel l’information qui nous entoure est comprise(…) à découvrir quels types d’information sont susceptibles d’être utilisés dans les jugements portés sur le bien-être» (2000 :65-66).

En définitive pour Elsa Beaulieu,  il existe plusieurs théories dans les recherches sur la qualité de vie, toute chose qui l’amène à dire que: «En somme, comme il a été précisé plus tôt, le concept de «qualité de la vie» est utilisé de manière variée et inégale, dans le cadre d’études dont les orientations théoriques sont diverses.» (2004 :10).

LA QUALITE DE VIE EN SOCIOLOGIE: UN INTERET TARDIF

La sociologie française s’est certes intéressée tardivement à la question du bien-être, mais il faut remettre cette situation à l’orientation que cette sociologie avait prise au lendemain de la première guerre mondiale. En effet l’héritage d’Emile Durkheim était si contraignant sur les sociologues français de tel sorte qu’à l’exception de quelque rares auteurs qui d’ailleurs hésitaient et s’étaient engagé timidement dans l’analyse du bien-être, peu d’entre eux s’intéressait à la question du bien-être. Il en était ainsi car le bien-être, sentiment subjectif ou superstructure culturelle déterminée par les conditions objectives, était sujet à caution. Toutefois en 1940, le sociologues Georges Gurvitch de retour des Etats Unies exaltait auprès de ses collègues chercheurs la plus-value et l’importance des recherches entreprises par l’école de Chicago (il est question du courant interactionniste qui était en vogue au Etats Unies durant cette période). Dès lors la sociologie objectiviste Française va inclure dans ses méthodes des éléments de saisie de vérités subjectives. C’est ainsi que Alain Tourraine qui était étudiant à l’époque, dans sa thèse qu'il va soutenir et intitulée: l’évolution du travail ouvrier aux usines Renault, observera les conditions de travail des ouvriers avec la particularité qu’il allait doubler son observation avec des entretiens effectués auprès des ouvriers. Il était convenu désormais au sein de la sociologie Française que toute étude se doit de saisir les aspects empiriques ainsi que les aspects en lien avec la subjectivité des acteurs.

C’est pourquoi Paul-Henry Chombart de Lauwe avec son ouvrage publié en 1956, qui porte sur la vie quotidienne des familles ouvrières est particulièrement révélateur de ce changement de paradigme. Cet auteur ouvre selon Remy Pawin (2014), la recherche dans le domaine du bonheur en France. D'ailleurs pour montrer d’une part la nécessité et l’originalité de son étude à l’époque, et d’autres parts le changement en cours dans la sociologie Française en matière d’étude sur le bien-être, Paul-Henry Chombart de Lauwe dira que: «chaque famille a été étudiée à la fois au point de vue des conditions de vie, et au point de vue des opinions exprimées sur ces conditions. Nous avons voulu réaliser deux enquêtes de types très diffèrent, et jusqu’ici presque toujours séparée : l’une sur les conditions matérielles de vie, l’autre sur les opinions et les attitudes.» (1956 :9). Il est clair que l’entreprise de recherche qu’il avait entreprise sortait des sentiers battus, toute chose qui montrait déjà que pour cet auteur le véritable sens d’un phénomène social ne peut être appréhendé qu’avec la combinaison des aspects objectifs et de ceux subjectifs, pour ce faire il continue en disant: «la première (conditions matérielles) reste très incomplète sans la seconde (opinions et attitudes). La seconde effectuée sans la première ne permet pas certains contrôles indispensables. Les relations entre les conditions de vie et les réactions psychologiques sont un des objets essentiels de notre recherche» (1956 :9).

A la suite de Paul-Henry Chombart de Lauwe, une étude d’envergure a été initiée et conduite par Christian Baudelot en 1996. Cette étude a donné lieu à un ouvrage en 2003, intitulé: Travailler pour être heureux? Le bonheur et le travail en France. L’ouvrage fait le point sur le bien-être au travail en France, il est question pour les auteurs de l’ouvrage de faire une analyse sociologique du bonheur au travail en excluant toutes les conceptions d’ordres philosophiques et morales tant entretenu dans le monde du travail. A propos de cette étude les auteurs soulignent que: «l’enquête dont on va lire les résultats analyse les relations entre bonheur et travail. Quelle place occupe le travail dans le bonheur ou le malheur des hommes ?» (2003 :12). Parlant de la posture méthodologique de cette œuvre de C. Baudelot, le sociologue  Remi Canoni va soutenir qu’elle relève de la théorie de la superstructure de Karl Marx, il ajoute que: «le registre des sentiments serait construit et façonné par des normes et des représentations qui elles-mêmes sont l’émanation des rapports sociaux de production. Il en est ainsi du bonheur qu’ils définissent comme norme des normes».

En somme, l’intérêt des études sociologiques en France pour le bien-être découle de cette évolution, c’est pourquoi d’ailleurs les différents sous-champs de la sociologie que sont entre autres: la sociologie du travail, la sociologie de la culture, la sociologie des loisirs, etc. chacun en ce qui le concerne tentent de cerner les différentes dimensions du concept en jeu dans son territoire ou champ d'étude. A suivre 

THIENI HAMA


[1] LEWIN, 1959. Cet ouvrage constitue la seule traduction d’articles divers de LEWIN, qui est pourtant l’un des pères fondateurs de la psychologie sociale.

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